Alexandre et Étienne forment un duo soudé uni par les liens du sang comme par les liens du son. Eux-mêmes musiciens, ils ont décidé de se lancer dans la folle aventure de la création d’un label indépendant, grisés par leur passion pour la musique libre et indie-rock.
Comment vous est venue l’idée de créer un label ?
Nous nous intéressons à la musique depuis très longtemps. Notre père était musicien et sonorisateur dans sa jeunesse. J’ai aussi un oncle qui a crée un label et qui produisait des artistes. Nos premiers pas en musique ont eu lieu à l’adolescence, période charnière où nous avons commencé par faire de la Dance Music (House, Drum’n Bass et UK Garage). De mon côté, j’ai commencé à mixer. Au début des années 2000, il y a eu un gros retour du rock. Malgré nos activités électroniques, cette émulation nous a forcément touchée vu notre culture pop. Quand tu t’intéresses autant que nous à la musique, tu finis forcément par t’impliquer d’une façon ou d’une autre en étant musicien tout en organisant des concerts ou des soirées voire en écrivant et en étant journaliste. Nous avons un peu tout essayé. En plus du Djing nous avons vraiment commencé avec un blog musical qui s’est progressivement muté en label. Nous nous intéressons à des groupes non signés qu’on peut retrouver dans notre entourage, ce qui nous a poussé dans cette voie. C’est un travail de curation, de mise en lumière et de passeur.
Plusieurs étapes vous ont amené vers votre label actuel. Vous fondez d’abord un premier label sous le nom de Croque Macadam puis vous enchainez sur un deuxième label : Requiem pour un Twister, trait d’union entre différentes approches de la musique. Peux-tu nous en dire plus ?
C’est une création en binôme : Alexandre, mon frère et moi, Étienne. Les premiers artistes que nous avons rencontrés ont été des partenariats décisifs pour avancer dans notre projet de label. Pour mon frère, ce fut sa proximité avec les Guillotines, un groupe, parmi ses amis, de rock garage francophone qui est à l’origine de la toute première sortie sur son label Croque Macadam. Pour la petite anecdote et pour faire une référence à une autre de tes interviews, Marion de Requin Chagrin était batteuse dans ce groupe. Ensuite, j’ai rejoint mon frère dans cette aventure en créant une structure associée au blog : Requiem Pour Un Twister qui a enclenché la sortie de deux 45 tours des Young Sinclairs, un groupe américain de Roanoke en Virginie, moi qui adorait ce groupe. J’ai été surpris qu’il n’y ait pas eu plus d’échos en dehors d’un tout petit milieu d’initiés : une niche folk-rock. C’est plus tard que nous avons réunis les deux labels Croque Macadam et Requiem pour un Twister sous une seule structure. Les deux labels forment une identité commune mais ont une fonction distincte : Requiem pour un twister est plus lié au développement des artistes et des albums alors que Croque Macadam met en avant les projets “one shot”, les rééditions et les 45 tours.
Quelles sont les raisons de vivre du label ?
Notre label renvoie à une définition assez œcuménique de la pop musique marquée par un fort prisme 60’s/70’s issu de notre culture familiale. Nous avons aussi des influences 80’s prégnantes (synth, post-punk, c86) voire 90’s (shoegaze). Les piliers du label sont : de bonnes chansons de préférence intemporelles, une production intéressante voire ambitieuse, une proposition artistique forte et enfin, car nous n’avons pas le choix, une visée de niche. Le marché français, le succès très limité du rock aujourd’hui, fait que nous visons un public assez réduit mais qui a la particularité d’acheter énormément de disques. Sinon, sachant que nous n’avons pas les ressources (financières, humaines, temporelles) pour réellement professionnaliser les artistes, notre objectif est d’être une piste de décollage pour eux. Nous estimons que si nous avons pu participer à l’éclosion de certains d’entre eux alors nous avons bien fait notre job.
Trois artistes de votre label qui valent le détour ?
Difficile de se fixer mais je vais choisir ceux avec lesquels nous avons la plus longue histoire :
Dead Horse One :
Pour moi, c’est tout simplement le groupe le plus important de shoegaze français. Depuis plus de dix ans donc une longévité record dans ce milieu. Ce sont les plus fiers représentant de ce genre chez nous. Leur grande réussite c’est d’avoir constamment évolué disque après disque tout en gardant leur plus grande qualité qui est d’écrire d’excellentes chansons pop, certes bruyantes mais entêtantes. Impossible de ne pas les fredonner ou de ne pas retenir leurs excellents gimmick. D’un point de vue humain, c’est aussi une rencontre qui dépasse largement le “travail” et je les considère comme des amis.
Triptides :
Cela fait 11 ans que nous travaillons avec eux. Nous les avons découvert sur des cassettes à tirages plus que confidentiels (50 copies) et interviewé sur notre blog puis nous avons sorti leur premier vinyle. Depuis, nous continuons à travailler avec eux. Là aussi, ce sont des songwriters exceptionnels, de leur début plus surf et indie-pop à leur son actuel plus psyché et sixties.
Vinyl Williams :
D’un point de vu commercial, c’est probablement notre artiste principal, nous travaillons actuellement sur son troisième album Avec nous qui devrait sortir cet été. Lionel est une personnalité attachante et il a un univers absolument unique avec un petit côté sorcier psychédélique voir New Age. Je suis persuadé que c’est un artiste que les gens écouteront encore dans 20 ans.
Quels sont les événements auxquels vous participez ?
Je ne trouve pas trop de plaisir dans l’organisation d’évènements car ça demande des compétences dans lesquelles je ne suis pas à l’aise. Alex et moi sommes en revanche des DJ expérimentés. Il est résident au Supersonic. Nous sommes tous les deux résidents au Motel et je continue toujours à produire et à mixer de la musique électronique. Enfin, avec le label, nous essayons de participer à tous les événements de types “foire” ou marchés des labels, comme celui organisé prochainement par Le Point Ephémère à l’occasion du Disquaire Day. C’est toujours intéressant de présenter nos productions directement au public et de partager avec eux.
Vos particularités en tant que label indépendant ?
D’abord, un des leitmotiv de notre label est la liberté : les artistes conservent tous leurs droits sur leur musique, c’est essentiel pour nous, pas d’histoire à la Taylor Swift chez Requiem. Ils sont aussi extrêmement libre sur l’aspect artistique de la musique : son, écriture, pochette. L’idée et de les aider à réaliser, avec nos faibles moyens certes, le disque de leur rêve. Ensuite, la prise de risque artistique est importante. Nous ne choisissons pas les artistes en fonction de leur potentiel commercial. Si nous signons des artistes c’est parce que nous adorons leurs musiques. Après c’est à nous de nous bouger pour les faire connaître. Enfin, nos propres ressources sont en jeu : avoir de faibles ressources n’a pas que des désavantages. Nous faisons beaucoup de choses nous mêmes et avons donc beaucoup de contrôle tant sur l’objet que sur le graphisme, la promotion et le marketing. Nous pouvons sortir des disques avec très peu de moyens et par conséquent prendre plus de risque. Il faut savoir que ce n’est pas mon travail donc je ne tire aucune rémunération, je n’en suis pas dépendant pour vivre.
Comment trouvez-vous les artistes que vous signez ?
Par le biais de nos propres recherches et découvertes car nous écoutons beaucoup de musique quotidiennement, ce qui sort ailleurs notamment à l’étranger et lors de concerts. A ce moment là, c’est nous qui prospectons. On pratique aussi la cooptation, c’est l’un des moyens les plus efficaces pour rentrer en contact avec des proches des artistes avec lesquels nous travaillons. Ils nous mettent parfois en lien avec des labels. Concernant les démos, nous sommes arrivés à une taille où nous sommes quotidiennement prospecté. Je reçois largement plus de 50 démos chaque mois et j’écoute tout. 99,9% des choses ne nous intéressent pas mais on pioche dans le 0.1% restant.
Qu’est-ce qui fait la force de votre label indé ?
Par rapport aux labels français similaires que je connais personnellement, je dirais : une vocation internationale plus prononcée. Notre discographie le montre puisque nous avons travaillé avec des groupes américains, danois, indonésiens, britanniques et canadiens. C’est une politique volontariste de notre part vu que nous souhaitions créer une sorte d’internationale pop, créer des passerelles entre les scènes, les gens et aussi permettre aux artistes français d’accéder à des marchés internationaux et réciproquement. J’ai l’intime conviction que si la France n’a pas de gros label indé comparable à ce qui existe en Angleterre ou aux Etats-Unis, c’est que notre marché national est trop faible pour la musique que nous développons. Il n’y a pas assez de débouchés et par conséquent, passé la trentaine quand arrivent les responsabilités, la lassitude de la galère et les enfants, les groupes jettent l’éponge. C’est largement ce qui explique l’incapacité de la France à influer culturellement à l’international dans le milieu indie. Par conséquent, après avoir observé des exceptions comme Phoenix ou Tahiti 80, nous nous sommes convaincus qu’il était essentiel de développer notre catalogue à l’international. Le pire c’est qu’aujourd’hui, y compris pour nos artistes français ou francophones, l’international représente largement 75% de nos ventes, dont la moitié rien qu’aux USA.
Concernant la promotion de vos artistes, comment vous y prenez-vous ?
La plupart du temps, nous le faisons seul. Avec l’expérience nous avons noué des relations particulières avec certains médias et journalistes. Sinon nous faisons parfois appel à des prestataires extérieurs mais c’est vraiment une solution que je n’apprécie pas car nous devenons dépendants d’eux.
Quels sont vos projets à venir ?
En ce moment, c’est extrêmement compliqué d’avoir un label comme le nôtre qui repose essentiellement sur le disque vinyle. Il y a une crise majeure qui a plusieurs effets délétères comme l’augmentation des prix. Lorsque nous avons commencé, nous pressions un album à 500 copies pour 1750 €. Aujourd’hui, on approche dangereusement des 3 000 € or nous ne souhaitons pas vendre nos disques trop chers avec des délais interminables. Nous sommes malheureusement passés de 8 à 10 semaines à plus de 6 mois de délai aujourd’hui dans la majeure partie des cas. La plupart des fabricants demandent désormais un paiement à la commande. On se retrouve donc avec beaucoup d’argent immobilisé pendant de longs mois pendant lesquels évidemment on ne peut pas lancer d’autres projets. Par conséquent, alors que nous pouvions sortir 8 à 10 albums certaines années, nous allons sortir 2-3 nouveautés max cette année et autant de repress. Pour l’instant, les seuls projets concrets et lancés sont les reissues de deux albums de Triptides et la sortie du nouvel album de Vinyl Williams : Cosmopolis pour l’été.
Alexandre is a total asshole. He’s the kind of guy that comes up to you at your show and tells you it wasn’t good. Definitely not very supportive of artists and extremely rude.